J'ai un grand bonheur de vous faire part de ce texte écrit par la critique Christine Rodès qui est passée voir l'expo juste avant qu'elle ne quitte les murs de la galerie. Les mots sont biens pour lutter contre les disparitions...
Ma chaleureuse reconnaissance à l'auteur.
"Hier, je suis passée par hasard chez Jacqueline Regis : on aurait dit que vos êtres
en voie de disparition, voulaient rejoindre la mer, et j'ai tenté de les accompagner, longuement, en les poussant des yeux.
Ce petit jeu n'est pas sans risque, au bout d'un moment une
affection nous gagne , dont on ne sait -
le mot est trouble -, s'il s'agit de maladie ou de tendresse. La dissémination qui les menace est de même nature que les pigments d'où leur forme émerge : une beauté brève, l'émergence d'un trait, la constellation de couleur pure qu'une colle ou un solvant peut soudain agréger, dissoudre ou modifier. Ce que capte l'artiste -à vrai dire l'apprenti-sorcier des matières nomades- c'est un instant , un espace-temps minimal dans la dérive possible des signes.
Signes mouvants, émouvants, car l'entomologie qu'ils inventent glisse aussi vers l'abstraction. Ce que nous voyons, c'est bien leur plasticité, leur décor, mais ce à quoi nous prêtons l'oreille, c'est
leur fragile rumeur, leur corps fragmenté, leur trace allusive qui murmure depuis le cercueil de verre. Ca y est, les singuliers nous agrippent
en témoignant de choses qui nous touchent, l'altérité, la résistance.
On ne peut les quitter ainsi. On songe à des hébergements possibles? Cette amie par exemple qui oscille entre Cotentin et Camargue, qui étudie les deltas de la terre, et n'aime que terres humides et oiseaux de marais : elle serait parfaite pour protéger celui-ci, dont ne subsiste, sur 10 cm de diamètre pétri, que le bec, mais si beau de courbe, dans le bleu d'hypothétiques marais et le rouge-brun d'improbables saladelles...
Hop, oublions le chômage, les courses chez Ed, la marginalité forcée. Offrons-lui ce Bec fantôme, ce signe d'oiseau
qui, à la réflexion, nous fait songer au Chat d'Alice au pays des Merveilles, dont seul demeure le sourire, après qu'il eut disparu.
On rentre chez soi, en fustigeant une hystérie indéniable, un emportement irrépressible - mais finalement pas mécontente d'avoir rencontré ces zozos.
La nuit passe, occupée d'autres rêves.
Au matin, c'est le lézard qui pointe son museau, il fore la mémoire en douceur, comme il fait du bleu vers le vert, dans son verre. Il me rappelle les gekkos qui m'empêchaient de dormir au Laos et l' éclair vif des salamandres corses. On ne peut pas s'en défaire, on appelle les amis à Paris, à trois, on pourrait l'offrir à Patrice et Marie-Christine qui vont convoler après 30 ans de fiançailles et dont l'amour, sans doute, repousse comme la queue du lézard... Bon, téléphonons pour retenir l'allongé.
On s'avise alors qu'au fond de la cervelle, bien cachée dans les circonvolutions, est restée le petit Petri jaune, peut-être une algue, épanouie comme un oeillet de roche, une salade de lichens, on s'était esquinté les pupilles à bien distinguer le mauve pâle, très délicat, qui assourdissait la fanfare du jaune, pétard de soleil. Un mutant androgyne, le Rimbaud des espèces en goguette.
Mais c'est assez de paroles, ce dernier
était un songe portatif, à
mon seul usage..."